L’État aux anti-vaccins : pas de vaccination, pas d’allocations
Marissa Newman 20 mai 2015
Un enfant se fait vacciner au centre médical pour enfants à Neve Yaakov, Jérusalem, le 10 septembre 2013. (Crédit : Yonatan Sindel / Flash90)
Parmi les parents opposés à la vaccination : les haredim, les Bédouins et… la classe supérieure.
Lorsque Yahadout HaTorah a signé son accord de coalition avec le Likud le 29 avril, les membres du parti ont triomphalement salué la revue à la baisse d’une série de mesures législatives mises en œuvre par l’ennemi juré Yair Lapid.
Selon les termes de l’accord de coalition, qui a nommé Yaakov Litzman vice-ministre de la Santé, « la loi sur l’Assurance nationale sera modifiée et les allocations familiales ne seront pas octroyées dans les cas où un parent refuse de faire vacciner son enfant ».
Cette condition – qui ne précise pas quels vaccins sont concernés – ravive un débat vieux de six ans : est-il légal d’établir un lien entre les prestations sociales et les vaccinations ?
On observe une ascension tranquille du nombre de parents qui choisissent de ne pas effectuer une partie ou tous les vaccins, principalement au sein de certains segments des communautés ultra-orthodoxe et bédouine du Sud, ayant un accès limité aux soins médicaux. Un dernier groupe en cause : la classe moyenne/supérieure pour des motifs idéologiques.
Le Haredim et Bédouins, parmi les plus virulents, sont aussi les plus pauvres et les familles le plus nombreuses, de sorte qu’ils sont finalement les plus dépendants des allocations mensuelles. Refuser les vaccinations les place par conséquent dans une situation difficile.
Si la mesure juridique ne serait pas inédite à l’échelle mondiale [l’Australie l’appliquera à compter de 2016], certains groupes israéliens de défense des droits de l’homme fulminent, accusant le gouvernement de procéder à une discrimination à l’encontre des populations les plus faibles, et de pénaliser les enfants pour les décisions des parents. Ils affirment ainsi que la législation ne modifiera tout simplement pas les opinions des personnes opposées aux vaccinations.
Ressusciter une vieille bataille
Le débat remonte à 2009, quand un amendement coupant un pourcentage des allocations familiales aux non- vaccinés a été approuvé – également, comme par hasard, dans le cadre d’un accord de coalition.
La mesure, qui devait entrer en vigueur en décembre 2010, a été retardée suite aux arguments des groupes de défense des droits de l’homme selon lesquels les Bédouins du Néguev ont un accès limité aux soins de santé.
La Haute Cour a toutefois confirmé la décision du gouvernement, rejetant les pétitions des groupes et assurant que la condition restait « modérée » et reflétait « non une manière de piétiner les droits, mais plutôt un engagement du gouvernement à protéger les enfants, un engagement dont l’importance ne saurait être trop soulignée ».
Alors que la Haute Cour a semblé résoudre le différend en 2013, la ministre de la Santé d’alors, Yael German, l’a ensuite torpillé unilatéralement, alléguant que la mesure était « injuste ».
Suite à l’accord de coalition avec Yahadout HaTorah contenant une formulation encore plus ferme, les pétitionnaires ont de nouveau fulminé cette semaine.
« Ceci est un acte grave, encore pire que la précédente tentative de 2010 de porter atteinte aux allocations. Avant, une réduction des allocations était en cause… maintenant on parle d’annuler la totalité de l’allocation », a déploré Yitzchak Kadman, directeur du Conseil national pour l’enfant, dans un e-mail.
Qualifiant l’initiative de « draconienne, sans précédent et dangereuse », Kadman note que les prestations pour les enfants sont destinées aux enfants, quand bien même elles sont versées aux parents.
Tout en affirmant l’importance de la vaccination, Kadman affirme qu’en l’absence d’obligation légale de faire vacciner ses enfants, une sanction juridique n’a pas lieu d’être.
« L’Etat d’Israël n’a jamais émis d’obligation de vaccination, mais n’a pas hésité à toucher le portefeuille des familles ayant des enfants ne respectant pas une obligation qui n’a en fait jamais été imposée. »
Sawsun Zohar, un avocat représentant Adalah, centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël, déclare dans un communiqué : « Si l’amendement est mis en œuvre, il s’agirait d’une autre mesure punitive contre les enfants des villages bédouins non reconnus à qui le gouvernement refuse l’accès aux soins de santé préventifs et confisque leurs allocations s’ils ne sont pas vaccinés. »
De même, Mor Sagmon de l’Association pour l’information sur les vaccins, a qualifié cette décision de dangereux précédent qui permettra des réductions des allocations familiales en fonction des caprices du ministère des Finances ou d’autres décisionnaires à l’avenir. « Peut-être que demain ils les réduiront pour ceux qui ne brandissent pas de drapeau à Yom Haatsmaout, ou pour les fumeurs ? », a ironisé Sagmon.
La montée du mouvement anti-vaccination
Si Israël affiche toujours un taux de vaccination dépassant les 90 % au cours des dernières années, une légère hausse du nombre de parents réticents a été enregistrée.
Dans son rapport 2014, le contrôleur de l’Etat, Yossef Shapira, a averti d’un « grand danger » d’épidémie parmi les populations où les taux de vaccination se situaient en dessous de la moyenne nationale (90 % – 97 %).
« S’il s’agit d’un taux relativement élevé, ce fait montre que des dizaines de milliers d’enfants en Israël n’ont pas reçu une partie ou l’ensemble des vaccins. Il y a des populations, comme les habitants des quartiers ultra-orthodoxes à Jérusalem et les Bédouins dans le Néguev, où les taux de vaccination sont inférieurs à la moyenne nationale, et il y a un grand danger d’apparition de la maladie (dont certaines pourraient être contagieuses). »
Le rapport suit une épidémie de rougeole en 2007, propagée par un touriste britannique qui assistait à un mariage ultra-orthodoxe à Beit Shemesh, puis à travers les nombreux invités non-vaccinés. À la fin de l’année, plus de 1 400 cas ont été enregistrés à l’échelle nationale.
Dans les milieux ultra-orthodoxes, la plupart des vaccins sont généralement encouragés par le leadership rabbinique ashkénaze, à quelques exceptions près [par exemple, la vaccination contre la grippe porcine aurait été considérée comme « ne valant pas le risque » par le rabbin Aharon Leib Shteinman tandis que le vaccin contre la polio lors de l’épidémie 2013 était recommandé, selon le site Kikar HaShabbat.
Un rapport du ministère de la Santé de 2012 a révélé que dans la ville majoritairement ultra-orthodoxe de Bnei Brak, le taux de vaccinés atteignait seulement 18 %, selon Kikar HaShabbat.
Un rapport de 2011 réalisé par l’Université de Haïfa concluait que l’opposition à la vaccination est « une tendance qui gagne rapidement du terrain dans les dernières années ».
En sus des groupes ultra-orthodoxes et des Bédouins, note l’étude, elle est également populaire au sein de la classe supérieure pour des raisons « idéologiques » glanées souvent sur des sites Web ou dans des émissions télévisées. Une étude de 2013 constatait une augmentation similaire chez la population instruite.
Concernant les groupes disparates et les diverses raisons de contourner les vaccins, Sagmon maintient que « la plupart » des parents prennent une «décision éclairée» sur les risques et « ne changeront pas d’avis en raison de réductions d’allocations ».
Kadman, plus prudemment, distingue entre les haredim et les Bédouins non vaccinés et le « nombre relativement faible » d’opposants par principe.
« La réduction des allocations familiales nuirait inutilement aux familles pauvres et aux populations faibles qui sont parfois exclues des services de santé. En revanche, en ce qui concerne les groupes anti-vaccination pour des raisons idéologiques (un nombre relativement petit), l’amende n’aura aucun avantage car ils ne n’abandonneront pas leurs croyances en raison d’une coupe dans les allocations familiales, qui est ridicule [pour eux]. »
Si les différentes études et le contrôleur ont largement convenu que la tendance était à la hausse, ils précisent que les chiffres précis sur le nombre de vaccinés ne sont pas accessibles, en partie en raison de l’incapacité professionnelle du ministère de la Santé de recueillir efficacement les données.
Le ministère de la Santé compile toujours une base de données nationale de vaccination, et la législation ambitieuse pourrait ne pas être applicable jusqu’à ce que le système d’identification des non-vaccinés soit achevé.
D’ici là, la population des anti-vaccins va probablement continuer de grandir, tranquillement, peu importe la législation.
Source : Timesofisrael
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