15 octobre 2010
Par: Dr Dominique Dupagne, sur atoute.org [EXTRAITS]
L’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) a publié le 28 septembre un article laissant entendre que la vaccination antigrippale avait permis de diviser par dix la mortalité liée à cette maladie. L’information, reprise par l’AFP, a fait la une de nombreux médias. Pourtant, cette affirmation est bien fragile si l’on se donne la peine de regarder les données d’un peu plus près.
France Meslé est signataire d’un article dont le titre pourrait paraître prudent (Résumé et pdf). J’en ai eu connaissance par un email provenant du service de communication de l’INED.
Je n’avais pas compris initialement que cette publication habituellement confidentielle aurait un tel écho dans les médias.
L’information, reprise par l’AFP, a fait le tour des rédactions avec un message beaucoup plus réducteur et, nous allons le voir, très contestable.
La lecture des courbes de mortalité
France Meslé fonde son analyse sur l’observation des courbes historiques : elle trouve une concordance de temps entre le développement de la vaccination antigrippale dans les années 70 et la diminution de la mortalité liée à la grippe dans plusieurs pays occidentaux.
Les épidémiologistes s’attendront à ce que l’article contiennent d’autres arguments plus probants pour affirmer, comme le fait l’auteur dans sa conclusion :
"La mise au point d’un vaccin efficace, constamment remanié en fonction des mutations du virus, a permis de diviser la mortalité par dix en France comme dans les autres pays industriels en 40 ans. Ce succès a été renforcé par la diffusion gratuite du vaccin auprès des personnes âgées, particulièrement sujettes aux complications létales."
Il n’en est rien. C’est sur le seul argument de concomitance historique que l’article, fort opportunément diffusé la semaine de la sortie du nouveau vaccin saisonnier, affirme le rôle salvateur de la vaccination antigrippale.
Je pourrais m’arrêter là et m’étonner que l’INED, institution respectée, revienne à des procédés obsolètes et contestables. Le biais qui consiste à attribuer un lien de causalité à une relation temporelle fait partie des pièges enseignés aux statisticiens débutants.
Mais l’étude approfondie des données révèle des surprises de taille.
Mortalité directe, indirecte et surmortalité Pour être précis, il faut aborder les notions de mortalité directe, indirecte et estimée présentes dans l’article.
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Toujours est-il qu’en France, depuis plusieurs années, c’est la surmortalité estimée à partir des courbes qui est mise en avant par les autorités sanitaires, soit, en fonction des années, 4 à 7000 morts par an. Au début de chaque campagne vaccinale, la presse reprend cette information alarmiste et incite à la vaccination, soutenue dans cet effort d’information par les industriels du vaccin.
Pour la pandémie grippale A/H1N1 2009/2010, un véritable décompte des décès a eu lieu. Nous avons découvert avec surprise que la mortalité réelle dépassait péniblement 300 cas. Et encore, nous n’avons pas la preuve de la responsabilité de la grippe pour de nombreux morts. Tout décès d’un sujet jeune présentant une maladie ressemblant à la grippe a été comptabilisé.
Venons-en aux données exposées par France Meslé et notamment le graphique français des décès. [IMAGE sur atoute.org]
La chercheuse y voit un signe franc de l’impact de la vaccination débutée timidement en 1970 puis proposée gratuitement après 75 ans à partir de 1985.
D’autres pays sont pris en exemple, dont les USA et l’Italie. [image sur atoute.org]
Si l’on fait abstraction du pic de la pandémie Hong Kong 69/70 et ses répliques en 71, il est pourtant aisé de constater que la diminution de la mortalité grippale est régulière depuis 1950. Cette date n’est pas anodine : elle correspond au début de l’utilisation de la pénicilline pour traiter les maladies infectieuses. En 1960, l’ampicilline (Totapen® en France) permet enfin l’utilisation simplifiée par voie orale d’un antibiotique efficace sur les principaux germes responsables des pneumonies.
Dans la mesure où la pneumonie bactérienne est la principale complication grave de la grippe, il n’est pas suprenant de constater une diminution drastique de la mortalité grippale à partir des années 50/60. L’hypothèse du rôle de la pénicilline dans la chute de la mortalité grippale paraît tout aussi plausible qu’un effet du vaccin qui commençait tout juste à être utilisé.
Ignorer le facteur confondant majeur que représente la pénicilline est pour le moins surprenant dans une publication à vocation scientifique.
Le fait que la mortalité ait commencé à diminuer nettement 20 ans avant la vaccination, notamment aux USA, est éludé par une phrase dans l’article de l’INED : "Aux États-Unis, où le vaccin a sans doute été diffusé plus précocement, la réduction de la mortalité a été très régulière depuis 1950".
L’expression "sans doute" est peu courante dans les articles scientifiques. Creusons un peu. Nous disposons d’un article de 2008 publié par P Doshi dans la revue de la prestigieuse American Public Health Association.
L’auteur réalise une analyse du même type, voici la courbe qu’il fournit:
Il déclare dans le texte que la baisse précoce de la mortalité grippale, dès la fin de la guerre, ne peut être due au vaccin qui n’a été utilisé largement qu’à la fin des années 80, référence à l’appui (la courbe verte ci-dessous)
il faut absolument que France Meslé lise cet article qui lèvera ses doutes.
La grande foire aux statistiques françaises
Un autre aspect mérite notre intérêt : les taux de mortalité qui ont permis de construire la courbe française. Ils m’ont été aimablement communiqués par France Meslé et je les ai convertis en mortalité absolue (taux/100 000 X 60 millions) :
Année | Mortalité |
1980 | 1300 |
1981 | 3600 |
1982 | 780 |
1983 | 2800 |
1984 | 720 |
1985 | 180 |
1986 | 2500 |
1987 | 600 |
1988 | 600 |
1989 | 1500 |
1990 | 2500 |
1991 | 480 |
1992 | 600 |
1993 | 1200 |
1994 | 360 |
1995 | 700 |
1996 | 1100 |
1997 | 1000 |
1998 | 2000 |
1999 | 1600 |
2000 | 1700 |
2001 | 180 |
2002 | 600 |
2003 | 480 |
2004 | 200 |
2005 | 1000 |
2006 | 120 |
2007 | 240 |
Quelle surprise... La mortalité de la grippe saisonnière, comme la mortalité de la grippe pandémique, se compte en centaines et non en milliers.
Lorsqu’il s’agit de promouvoir le vaccin en insistant sur la mortalité de la grippe, celle-ci provoque plus de 7000 décès par an.
Lorsqu’il s’agit de promouvoir le vaccin en mettant en avant son effet sur la mortalité, celle-ci tombe à quelques centaines de décès par an.
En fait, suivant que l’on utilise la mortalité estimée ou la mortalité constatée, on obtient facilement la division par 10 de la mortalité attribuée au vaccin. L’article n’indique pas précisément comment la mortalité historique a été mesurée, mais il est à craindre que le mélange de mortalité estimée pour les années anciennes et constatée pour les années récentes ne vienne fausser la lecture des graphiques de France Meslé.
Cette confusion est représentative de l’attitude des autorités sanitaires face à la grippe : la réalité est fabriquée pour être au service de la stratégie vaccinale, alors qu’il conviendrait plutôt de concevoir la stratégie à partir de la réalité, ce qui nous ramène à la gestion de la pandémie 2009/2010 et aux rapports parlementaires qui l’ont stigmatisée.
[...]
En pratique, l’étude historique des courbes de mortalité grippale ne soutient pas l’hypothèse d’une forte efficacité vaccinale. Cette forte efficacité serait d’ailleurs en contradiction avec les évaluations scientifiques disponibles qui n’attribuent au mieux au vaccin saisonnier qu’un effet modeste, à supposer qu’il existe, sur la mortalité grippale.
Voici quelques extraits de l’impact de l’article de l’INED dans la presse. Nous sommes le 29 septembre 2010, soit une semaine après le lancement du vaccin saisonnier. Je suis trop vieux pour croire aux coïncidences. Ces journalistes qui se réjouissent avec l’INED de la baisse de la mortalité à 500 morts par an sont les mêmes qui nous annonçaient tous les ans 7000 morts lors de la commercialisation du vaccin. Ils semblent ne pas avoir retenu la leçon des errances de la communication officielle sur la pandémie grippale.
L’AFP parle imprudemment d’une "étude" de l’INED, accréditant l’idée de nouvelles données alors qu’il ne s’agit que d’une nouvelle lecture, très contestable, de données connues et d’ailleurs mal documentées. Le lien de cause à effet entre la vaccination et la baisse de mortalité, fortement suggéré par France Meslé, ne repose sur rien de solide.
J’ajoute que mon but n’est pas de contester tout intérêt à la vaccination antigrippale. Je souhaite simplement pouvoir disposer d’une information sincère et objective pour aider mes patients à faire le meilleur choix pour eux ou pour leurs proches. Malheureusement, ce type de publication ne sert pas la santé publique et n’est pas digne d’une institution comme l’INED. "
totalité de l'article sur le site source: Atoute.org
Nb: Suite au mail envoyé par Initiative Citoyenne ce 19 nov. à la RTBF, qui avait elle aussi publié un article sur bases des données de l'AFP, nous saluons la correction/l'ajout que ce média a eu la correction de bien vouloir faire en ajoutant les propos suivants en fin d'article:
""Le Dr Dominique Dupagne, médecin et administrateur du célèbre forum médical atoute.org, a rédigé une réponse en bonne et due forme et nuance les "informations erronnées" diffusées par l'AFP."
MERCI!