Voici ci-dessous la lettre on ne peut plus juste mais aussi "cuisante" qu'un médecin généraliste belge (qui a encore le sens de son devoir d'efficacité et d'humanité envers ses patients) vient d'envoyer aux parlementaires belges sur l'immense scandale sanitaire qui est susceptible de nous concerner tous un jour ou l'autre au sujet des conditions d'accès de l'oxygène à domicile... Rappelons que ce n'est pas la première lettre que le Dr Caironi envoie aux parlementaires. Mais il le fait cette fois-ci après avoir été honteusement débouté par le Conseil d'Etat qui a osé qualifier sa requête d'"opportuniste"... qu'a-t-il pourtant à y gagner puisqu'il a lui-même payé cette procédure de sa poche? Tout cela montre de façon effrayante le peu d'indépendance de la justice (comme nous avions déjà pu le constater dans l'affaire du H1N1...)
Tous au cours de notre vie, nous sommes susceptibles d'avoir un jour besoin de bonbonnes d'oxygène à domicile dans le cadre d'une condition de santé particulière. Jusqu'à il y a peu, cette prescription sûre et efficace, qui ne peut apporter que du bien et un soulagement aux patients sans contrepartie en termes d'effets secondaires, pouvait être effectuée par le médecin traitant/médecin généraliste. Désormais, grâce à une soi-disant concertation de la Ministre Onkelinx avec des pseudos experts pneumologues et sous prétexte d'économie, les patients les plus démunis sur le plan financier seront OBLIGES de passer au moins une nuit à l'hôpital pour que cette prescription soit effectuée par des pneumologues hospitaliers. Un business de plus pour les hôpitaux mais absolument RIEN à y gagner pour les malheureuses personnes, souvent en fin de vie, ou atteinte de cancer ou de maladies incurables. Ces malheureux patients qui ont tout à gagner à ne pas se rendre à l'hôpital en termes de déplacement (beaucoup sont grabataires), en termes de stress aussi (l'hôpital entraîne un stress accru pour les malades, encore plus pour les seniors qui n'ont souvent plus que leur "chez soi" comme seul repère) et en termes de risque de contracter une affection nosocomiale qui pourrait bien leur coûter la vie, se retrouvent donc forcés sous peine d'asphyxier d'aller à l'hôpital. Dans le même temps, les plus riches d'entre nous pourront encore se payer ces bonbonnes hors circuit classique et donc hors remboursement. Inutile de rappeler qu'avec un salaire de 15 000 euros nets par mois, les Ministres n'ont donc pas à s'inquiéter pour eux-mêmes des mesures iniques qu'ils approuvent pour l'ensemble de leurs "dociles sujets"!
Si on ajoute à cela que plusieurs patients se sont vus retirer les bonbonnes à domicile dont ils disposaient en vertu de l'ancien système et que certains en ont fait une complication neurologique grave et irréversible (lésion du cerveau par anoxie = manque d'oxygène) qui a imposé leur placement en institution de soins spécialisée et leur séparation de fait de leur conjoint, on mesure alors mieux l'ampleur de ce despotisme sanitaire implaccable et inexcusable qu'il serait urgent de combattre à la racine si on veut un jour ne pas avoir à en faire les frais.
Lettre aux Parlementaires belges
Brief aan de Belgische Parlementariërs
Place de la Nation
1008 Bruxelles
Le 4 janvier 2014
Madame, Monsieur le Député Fédéral, Dames en Heren Parlementariërs,
Concerne : oxygénothérapie à domicile ; A.R du 17.5.2012 ; Arrêt du Conseil d’Etat N° 221.728 du 13 décembre 2012, affaire A. 205.726/VII-38.598 (procédure en suspension) ; Arrêt du Conseil d’Etat N° 225.548 du 21 novembre 2013, (procédure an annulation) ; considérations post-mortem.
En tant que médecin suisse résidant en Belgique depuis ma naissance, j’ai mis ma vocation, mon altruisme, mon humanisme, et mes connaissances acquises grâce à vos universités, au service des malades – et de votre beau pays. J’en suis très fier. Cette fierté n’a d’égale que l’indignation qu’a suscitée l’Arrêté royal repris sous rubrique. J’en fais un court historique décrit par un médecin engagé, imprégné de l’Art de Guérir, imbu de ses prérogatives en la matière, pénétré du service à rendre au chevet des malades les plus démunis dans la plus grande détresse qui soit, celle où l’on respire à peine, où l’on étouffe :
La loi en question fait fi d’un diplôme universitaire de sept (7) années d’études, réduit les connaissances d’un médecin généraliste à leur portion congrue, celle d’un faire-valoir, et, surtout, lui retire, sans aucune base scientifique et de manière totalement arbitraire, ses compétences historiques, scientifiques et cliniques, diagnostiques et thérapeutiques, en matière d’insuffisance cardio-respiratoire à domicile, ceci dans des conditions aiguës, souvent tragiques sur le plan social et humain. Cette loi inique, mue pas des impératifs économiques, initiée par une caste de spécialistes hospitaliers et d’experts en tout genre, provoque actuellement des drames quotidiens. L’oxygène à domicile, prescrite par un généraliste, mais refusée après trois mois de traitement, force des malades grabataires en insuffisance respiratoire grave, à quitter le lit, à risquer leur dernier souffle de vie dans des ambulances rudimentaires, d’où, extirpés après un folle équipée, ils deviennent le jouet de l’échelonnement horizontal qui fait florès au sein des entreprises hospitalières. Les liens ci-après permettent de se rendre compte de la gravité de la situation – et de la honte qui devrait submerger tout citoyen responsable prenant connaissance de ces articles ou de ces reportages :
A titre personnel, j’ai entamé, en mon âme et conscience, une procédure en suspension et annulation au Conseil d’Etat. La nuque ceinte d’une écharpe blanche, j’ai, aux côtés de mon avocat, pris la parole en néerlandais par respect pour votre multilinguisme que je ne connais que trop bien dans mon propre pays. J’ai dit aux juges l’altruisme, la dignité de ma fonction qui ont dicté et guidé ma démarche. Je me suis également adressé à vous dans un précédent courrier l’année passée. J’ai ainsi beaucoup appris sur le fonctionnement des institutions démocratiques belges. Le moins qu’on puisse dire est que votre système me semble très éloigné de celui de mon pays d’origine, imbibé des votations chères à la démocratie directe ! J’ai ainsi volé d’étonnement en étonnement. J’ai notamment appris que l’Arrêté royal en question n’a de royal que l’adjectif, qu’il n’est même pas proposé au Parlement en séance plénière, lequel, donc, ne le vote pas. Bien sûr, le texte en question a fait l’objet d’une discussion au sein d’un commission ad hoc composée de parlementaires de tout bord. Et c’est heureux, car certains d’entre vous y ont pris courageusement la parole pour clamer leur indignation. Je garde en mon cœur ce cri d’alarme lancé par le Député Damien Thiéry en date du 05/12/2012, en l’absence notoire de la Ministre : « C’est de la folie ». J’ai retenu aussi cette formule lapidaire à la fin des débats : « L’incident est clos ».
Le scandale de l’oxygénothérapie à domicile m’inspire ces lignes chères à Montesquieu (De l’Esprit des lois) : Lorsque dans la république, le peuple en corps a la souveraine puissance, c’est une démocratie. Lorsque la souveraine puissance est entre les mains d’une partie du peuple, cela s’appelle une aristocratie. Fin de citation.
Oui, Madame, Monsieur le Député fédéral, une certaine aristocratie s’est arrogée l’Art de Guérir, mais aussi le pouvoir de légiférer en la matière aux détriments du peuple et de la démocratie par lobbyistes, experts, et conseillers interposés. Vexatoires pour votre médecin, ses compétences et son aura, ces mesures touchent dangereusement votre famille, vos amis, vos électeurs et créent un véritable apartheid socio-économique. En effet, à raison de près de deux-cents (200) Euros tous les trois mois, les nantis se procurent de l’oxygène payant (…) sans aucune contrainte !
Je souhaiterais aussi vous faire part de quelques considérations toutes personnelles sur la séparation des pouvoirs. Ainsi, votre Conseil d’Etat prévoit des initiatives personnelles, insolites, mais citoyennes telles que la mienne, lorsqu’une loi pose question (s). Cette procédure est tout à votre honneur. Toutefois, il est communément admis que l’action de l’Auditorat se situe dans le prolongement de celle du Ministre et auteur de la proposition de loi. Il est également communément admis que les juges du Conseil d’Etat suivent l’avis de l’auditeur. Ce comportement est on ne peut plus logique puisqu’il s’agit de ne pas entraver la bonne marche d’un exécutif face à d’éventuels procéduriers. Dans ce contexte, j’ai été écouté poliment au Conseil d’Etat. Mais ai-je été entendu ? La question est posée. Sachez que je suis particulièrement choqué par une des formulations du jugement, qualifiant ma démarche de je cite « opportuniteitskritiek » ou critique opportuniste.
Une telle vision de la séparation des pouvoirs, laquelle porte en soi et sciemment ou non le germe d’une continuité du pouvoir, ne peut fonctionner valablement que sous trois conditions : 1. Lorsque ladite loi a été bien pensée et savamment mûrie, à partir d’un tour de table le plus large possible incluant tous les acteurs de la société civile concernés au premier chef, en l’occurrence les malades et leur médecin généraliste. 2. Lorsque ladite loi, ensuite, a fait l’objet d’un projet, débattu sereinement, de manière contradictoire et visible, par une majorité des représentants du peuple. 3. Lorsque ladite loi, enfin, a été votée en toute clarté et en pleine lumière. Lorsque, dixit Montesquieu, l’aristocratie se substitue à la démocratie, la séparation des pouvoirs devient caduque, et le despotisme s’installe – accouchant de lois effrayantes.
Oui, Madame, Monsieur le Député fédéral, la loi sur l’oxygénothérapie à domicile est une loi effrayante. Il suffit, pour vous en rendre compte, de relire cette lettre en retenant votre respiration. Oppressante et opprimante à souhait, cette loi, incomprise de vos électeurs et de l’Histoire, risque de se rappeler à votre bon souvenir au crépuscule de votre vie. Ce n’est pas ce que je vous souhaite bien sûr, mais il est grand temps de penser et de légiférer avec le cœur.
Puisse mon action susciter un dernier baroud d’honneur au sein de votre haute Assemblée, et, ainsi, contribuer au bon fonctionnement de vos institutions en vous inspirant dans vos activités futures au service des gens et des malades les plus démunis au sein de notre société. C’est là tout le bonheur que je vous souhaite en cette fin de législature et en ce début de l’année 2014 que j’espère heureuse, épanouie, et emplie d’oxygène, bien sûr !
Bien respectueusement et cordialement vôtre,
Docteur Baudouin Caironi
PS : réponses stéréotypées, à partir d’un papier-collé de l’écrit d’un chef de groupe : s’abstenir.