Editorial: Soleil de Californie sur les conflits d’intérêt
Minerva 2007; 6(5): 65-65 (voir sur leur site)
D’éventuels conflits d’intérêt des praticiens peuvent-ils influencer négativement les soins cliniques prodigués ? La notion de conflits d’intérêt couvre une longue liste d’interactions avec l‘industrie du médicament, de dispositifs médicaux ou d’équipements pour la recherche. Elle comprend, entres autres : cadeaux, même de relative faible importance, repas, paiements pour présence à des lectures ou à des conférences, y compris on line, formation médicale continue non payante pour les participants, paiement pour participation à des réunions, défraiements pour frais de voyage ou bourses d’étude pour participation à un congrès, paiement pour participation à un comité de conférence, mise à disposition de services d’écriture « par un nègre », fourniture d’échantillons pharmaceutiques, octroi de subsides de recherche, paiement de consultance.
En Belgique, la déclaration de conflits d’intérêt est loin d’être systématique et, de plus, son intérêt est souvent remis en cause. Les personnes interrogées à ce sujet déclarent souvent que leur jugement médical n‘est en rien influencé par des contacts ou des cadeaux, petits ou grands, sous quelque forme que ce soit. De nombreuses études ont pourtant montré l’influence de conflits d’intérêt, survenant quand des praticiens ont des motifs ou se trouvent dans des situations dans lesquelles de bons observateurs peuvent conclure que la rigueur morale de leur rôle de médecin est ou pourrait être compromise 1. Dans le cadre d’influences possibles de l’industrie, des conflits d’intérêt financiers surgissent quand le praticien est tenté de s’écarter de ses obligations professionnelles en raison d’un bénéfice personnel économique ou autre, et ce n’est certes pas l’importance du cadeau qui modifie le libre arbitre. De nombreuses études ont montré que le comportement d‘un individu n’était pas toujours rationnel, qu’un cadeau modifiait l’objectivité et influençait le choix, appelait à une réciprocité 1. Pour les praticiens notamment, leurs prescriptions étaient substantiellement plus importantes après des visites de délégués médicaux, après une participation à un symposium sponsorisé par une firme ou après acquisition d’échantillons. Une synthèse méthodique de la littérature 2 montre qu’une écrasante majorité de ces interactions produit des effets négatifs sur les soins cliniques. L’introduction de ce biais nuit à l’intégrité de jugement en situation, au respect des références en matière d’intégrité scientifique, mais surtout, in fine, aux intérêts du patient1.
Il est donc indispensable de témoigner d’une totale transparence des conflits d’intérêt potentiels.
La seule déclaration de conflits d’intérêt suffit-elle, cependant, à résoudre le problème (*) ? Des collaborateurs de Centres Académiques du monde médical 1 répondent que non, pour plusieurs motifs : la notion de conflits d’intérêt est fort variablement interprétée, les conflits d’intérêt ne sont pas souvent vérifiés, leur influence difficilement identifiable pour un non expert dans une matière. Ils estiment qu’il est plus facile de déclarer ces conflits puis de se comporter comme s’ils n’existaient pas, plutôt que de tenter de les éliminer. Ce problème est particulièrement crucial en milieu universitaire, nous l’avons déjà abordé dans l’édition néerlandophone de Minerva 3. Un exemple précis de tentative d’éviter, de modérer ou, si nécessaire, de gérer les conflits d’intérêt de l’ensemble du personnel d’une université, y compris les étudiants, par rapport aux firmes commercialisant des produits en rapport avec la santé, nous vient de Californie, de l’Université Stanford 4 et nous est rappelé par un éditorial de la Revue Prescrire 5. Les directives sont clairement fixées dans cet établissement. Elles mentionnent, entre autres, qu’aucune forme de cadeau personnel ne peut être accepté, dans toute circonstance. Des règles strictes sont précisées pour les activités formatives au niveau de la transparence des conflits d’intérêt, du choix des thèmes, du contenu des présentations. L’université prévoit également une formation pour les étudiants, résidents, stagiaires et personnel, sur les conflits d’intérêt. Cet apprentissage, débutant avant la vie professionnelle, lors de la formation, nous semble être un autre élément clé d’une saine gestion des conflits d’intérêt potentiels.
Nous rêvions déjà du soleil de Californie. S’il contribue aussi à mieux éclairer les conflits d’intérêt et leur gestion, nous rêverons encore davantage que ses rayons atteignent notre petit pays.
P. Chevalier, M. van Driel, M. De Meyere au nom de toute la rédaction
Références
1. Brennan TA, Rothman DJ, Blank L, et al. Health industry practices that create conflicts of interest: a policy proposal for academic medical centers. JAMA 2006;295:429-33.
2. Wazana A. Physicians and the pharmaceutical industry: is a gift ever just a gift? JAMA 2000;283:373-80.
3. De Meyere M. Is academische geneeskunde te koop? [Editoriaal]. Huisarts Nu (Minerva) 2000;29:264-5.
4. Stanford University School of Medicine. Policy and guidelines for interactions between the Stanford University School of Medicine, the Stanford Hospital and Clinics, and Lucile Packard Children’s Hospital with the pharmaceutical, biotech, medical device, and hospital and research equipment and supplies industries (“industry”).
http://med.stanford.edu/coi/siip/documents/siip_policy_aug06.pdf (consulté le 14 mars 2007).
5. Cadeaux des firmes: interdits à l’Université Stanford. Rev Prescr 2007;27:221-2.
(*) A ce sujet, nous rajoutons le très intéressant complément d'information suivant:
Dans l’édition du magazine Knack du 12 novembre 2008 et dans celle du Vif l’Express du 14 novembre 2008 on peut en effet lire la chose suivante au sujet des scientifiques qui composent le Conseil Supérieur de la Santé (CSS) : « Il ressort des documents que nous avons pu consulter que quatre des cinq membres qui a préparé l’avis du CSS sur le Gardasil et le Cervarix sont ou ont été consultants ou chercheurs rémunérés par Glaxo Smith Kline ou Sanofi Pasteur MSD. Pourtant, ils ont tous les cinq signé la déclaration de conflits d’intérêt exigé par le Conseil Supérieur de la Santé, une déclaration par laquelle ils affirment pouvoir agir en toute indépendance dans ce dossier. […]»
Toutefois, cela n'a pas empêché le Pr Patrick De Mol de l'Université de Liège d'affirmer lors de l'émission "Controverse" sur RTL le 18 octobre dernier que "le CSS ce sont des scientifiques INDEPENDANTS" (!). Décidément, tout le monde n'a donc pas la même définition de l'indépendance....